Annexe B
L’architecte comme arbitre intérimaire du régime de paiement rapide


Par Allen Humphries, OAA, MRAIC, et Christie Mills, OAA


Préambule

Au moment de publier le Manuel canadien de pratique de l’architecture, 3e édition, seule la province de l’Ontario avait adopté une loi sur le paiement rapide. Toutefois, la question de l’architecte comme arbitre intérimaire du paiement rapide fait l’objet de discussions dans les instances gouvernementales provinciales et le gouvernement fédéral étudie actuellement ses propres approches en matière de législation sur le paiement. On s’attend à ce que la législation sur le paiement rapide devienne courante dans nombre de provinces et territoires dans un proche avenir.


Introduction

L’arbitrage intérimaire

L’arbitrage intérimaire est une forme alternative de résolution des différends. Il est conçu pour être rapide afin de veiller au flux des liquidités dans l’industrie de la construction. Par rapport à la médiation, à l’arbitrage ou à l’action en justice, on l’assimile à une justice rapide et économique – réglons la question et allons de l’avant.


L’arbitrage intérimaire en vertu de la Loi sur la construction de l’Ontario

La Loi sur la construction de l’Ontario est entrée en vigueur le 1er juillet 2018. Elle remplace la Loi sur le privilège de la construction pour les nouveaux projets. L’arbitrage intérimaire vise à offrir un règlement exécutoire intérimaire des différends de construction rapide et économique. Une partie à un contrat peut soumettre à l’arbitrage intérimaire un différend avec l’autre partie qui porte sur l’une ou l’autre des questions suivantes :

  • l’évaluation des services ou des matériaux fournis aux termes du contrat;
  • le paiement prévu par le contrat, y compris à l’égard d’un ordre de modification, approuvé ou non, ou d’un projet d’ordre de modification;
  • les différends qui font l’objet d’un avis de non-paiement prévu à la partie I.1;
  • les montants retenus en vertu de l’article 12 (compensation par le fiduciaire) ou en vertu du paragraphe 17 (3) (compensation relative au privilège);
  • le versement d’une retenue en vertu de l’article 26.1 ou 26.2;
  • le non-versement de la retenue visé à l’article 27.1;
  • toute autre question sur laquelle s’entendent les parties à l’arbitrage intérimaire ou qui est prescrite. 2017, chap. 24, par. 11 (1).

L’architecte peut être impliqué en tant que partie à l’arbitrage intérimaire d’un différend en vertu du contrat client-architecte, ou il peut être invité par un maître d’ouvrage à préparer la défense de ce dernier s’il est partie à l’arbitrage intérimaire en vertu d’un contrat de construction. Dans un cas comme dans l’autre, l’architecte aura très peu de temps pour comprendre la question faisant l’objet du différend, examiner les documents soumis par le demandeur, rassembler l’information pertinente à partir des dossiers du projet, et composer une réponse.

La décision d’un arbitrage intérimaire est exécutoire par un tribunal et elle lie les parties jusqu’à la fin du projet.


L’Autorité de nomination autorisée

Désignée pour superviser la nomination des arbitres intérimaires et le processus d’arbitrage intérimaire, l’Autorité de nomination autorisée (ANA) a pour fonction d’élaborer et de superviser des programmes de formation et de qualification d’arbitres intérimaires et de tenir un registre d’arbitres intérimaires accessible au public. Les architectes ayant 10 ans d’expérience sont admissibles et ils sont invités à saisir cette occasion. Pour être nommé arbitre intérimaire, il faut satisfaire aux critères établis dans la réglementation, suivre un programme de formation et un processus d’évaluation de la qualité en ligne. Ce processus d’évaluation exige la présentation de vidéos pour démontrer la capacité d’arbitrage. Les candidats doivent également soumettre à l’ANA un formulaire dûment rempli, les déclarations d’arbitrage et un curriculum vitae contenant des détails sur leur expérience pertinente dans l’industrie de la construction. Les décisions sont prises sur la base des qualifications, des besoins et des résultats du processus d’évaluation.

En Ontario, l’ANA a également établi cinq niveaux d’arbitrage pour donner à tous les participants une idée de ce à quoi ils doivent s’attendre quant au processus, au calendrier et aux coûts. Comme l’indique l’ANA, le coût d’un arbitrage intérimaire est partagé entre les deux parties. On s’attend à ce qu’il représente un peu moins de 10 pour cent du montant en litige, le coût minimum étant de 800 $. Il reste à voir quel sera l’impact de l’arbitrage intérimaire sur la résolution des différends portant sur de petits montants.


Le rôle de l’arbitre intérimaire

L’arbitre intérimaire (avec le consentement des parties) est libre de déterminer les procédures et le processus de chaque arbitrage. Il n’est pas tenu de se conformer aux processus décrits par l’ANA.

Il est prévu que dans la plupart des cas, l’arbitre intérimaire ne recevra et n’examinera que des documents écrits, sans qu’aucune déclaration ne soit faite en personne. Contrairement à une procédure judiciaire formelle, les témoins ne sont pas assermentés. Les parties se contentent de raconter leur version des faits à l’arbitre. Contrairement à un juge, l’arbitre intérimaire n’a pas besoin d’être un juriste. Contrairement à un juge, il peut être un enquêteur, poser des questions, visiter les lieux et chercher des réponses le cas échéant. Après avoir évalué les observations écrites et orales qui lui ont été soumises, l’arbitre intérimaire, s’appuyant sur son expérience dans le secteur de la construction, rédige une décision et la présente à l’ANA et aux parties.

En Ontario, les arbitres intérimaires ne peuvent pas être tenus responsables pour une décision rendue de bonne foi.


Que signifie l’arbitrage intérimaire pour le Canada?

Il est difficile de prédire comment l’arbitrage intérimaire sera reçu et le rôle qu’il jouera en fin de compte. Ce processus est déjà utilisé avec plus ou moins de succès dans d’autres pays, mais en matière d’arbitrage, les lois diffèrent, tout comme les contextes dans lesquels évolue le milieu de la construction. En Angleterre, par exemple, il a fallu attendre neuf mois après l’entrée en vigueur de la loi pour que le premier arbitrage intérimaire ait lieu. Personne ne voulait être le premier. Et ce, malgré le fait que l’Angleterre ne dispose pas d’une loi sur les privilèges en construction.

En vertu de la loi fédérale proposée, seuls les différends portant sur des honoraires peuvent être soumis à l’arbitrage intérimaire. La portée de cette loi est beaucoup moins étendue que celle de l’Ontario. Les architectes devront se familiariser avec la législation applicable à l’emplacement de l’ouvrage.

Aucune loi n’est parfaite lors de sa mise en œuvre initiale. Un certain nombre de questions ont été soulevées concernant la législation de l’Ontario. Pour rester à jour, les architectes devront surveiller si des révisions ont été apportées à la loi, si de nouveaux règlements ont été adoptés en vertu de celle-ci et si les tribunaux ont rendu des décisions qui ont des incidences sur la loi. Souvent, il vaut mieux s’adresser à un avocat spécialisé en droit de la construction.


L’arbitrage intérimaire et la profession d’architecte

L’arbitrage intérimaire et le paiement rapide (qui vont souvent de pair) devraient profiter à long terme à toute l’industrie de la construction en maintenant le flux des liquidités. À court terme, ces deux mesures seront déstabilisantes, car elles sont nouvelles et elles modifient des processus et des attentes de longue date.

Il faudra leur porter une attention particulière jusqu’à ce que les experts-conseils, les clients, les entrepreneurs et tous ceux qui se trouvent plus loin dans la chaîne se soient habitués au respect des délais imposés et aux avis requis.

L’architecte devra s’assurer que le soutien au maître de l’ouvrage lors d’un arbitrage intérimaire est inclus aux services prévus dans son contrat avec le client. Comme l’étendue des services requis à cet égard est inconnue au moment de la signature du contrat, il ne convient pas d’établir un montant fixe. Il vaut mieux prévoir un taux horaire ou une allocation monétaire.

L’architecte doit également tenir compte du fait que le temps est un élément crucial de l’arbitrage intérimaire. Pour respecter les délais, l’architecte devra peut-être retirer du projet auquel elle travaille une personne qui connaît bien le projet faisant l’objet de l’arbitrage. Cela aura des incidences sur ce projet, mais aussi sur les autres projets de la firme. Les délais serrés peuvent obliger des employés à travailler en heures supplémentaires et leurs employeurs à les rémunérer en conséquence.

L’architecte doit être conscient qu’une nouvelle loi est susceptible d’être modifiée pour remédier à des ambiguïtés et des omissions et tenir compte des décisions des tribunaux qui peuvent avoir une incidence sur son application et son interprétation. Lorsqu’il aide son client, l’architecte doit éviter de fournir des conseils juridiques et insister auprès de ce dernier pour qu’il obtienne un avis juridique concernant les délais qui s’appliquent et aux avis requis.

En plus de participer à un arbitrage intérimaire en vertu d’un contrat de construction, l’architecte peut être lui-même partie à l’arbitrage d’un différend concernant le contrat qu’il a conclu avec son client. On recommande à l’architecte de retenir les services d’un avocat pour le conseiller dans le processus bien avant qu’il ne débute, car il n’aura probablement pas le temps de trouver un avocat lorsque l’arbitrage intérimaire sera en cours.


L’architecte en tant qu’arbitre intérimaire

En ce qui concerne l’évolution des rapports et de la législation en Ontario, certaines sommités du droit de la construction au pays ont indiqué que l’arbitrage intérimaire fonctionnera mieux si ce sont des architectes et des ingénieurs qui deviennent arbitres intérimaires plutôt que des avocats.

Le rôle d’arbitre intérimaire convient bien aux architectes, pour les raisons suivantes :

  • leur rôle d’interprètes impartiaux des documents de construction et de l’avancement des travaux est bien établi dans l’industrie;
  • leur mandat de protection de l’intérêt public est inscrit dans leurs lois habilitantes, les lois sur les architectes;
  • les architectes comprennent les ramifications à long terme des décisions reliées à toutes les disciplines qui participent à la conception du projet et les incidences des modifications apportées pendant l’exécution des travaux;
  • les architectes ont une responsabilité professionnelle.

La question s’est posée de savoir si l’arbitrage intérimaire doit être considéré comme faisant partie des « services usuels » de l’exercice de l’architecture. En Ontario, il est reconnu que les architectes ont traditionnellement agi de bien des façons comme arbitres informels et qu’ils sont bien adaptés à ce rôle. Toutefois, le rôle officiel d’arbitre intérimaire qui exerce ses fonctions en vertu d’une loi d’habilitation distincte, qui suit une formation à cette fin et qui est nommé par une ANA, est bien distinct de celui de l’architecte qui rend des services d’architecture au public.

Bien que les services d’arbitrage intérimaires officiels ne fassent pas partie de la pratique normale de l’architecture, les architectes qui fournissent de tels services peuvent faire l’objet de plaintes ou de mesures disciplinaires en vertu de la loi et des règlements de leur ordre d’architectes provincial ou territorial, car ils en restent membres. Comme l’ANA a son propre code de conduite et son processus de traitement des plaintes auquel doivent se conformer ses arbitres intérimaires et que l’un ne l’emporte pas sur l’autre, les architectes pourraient faire l’objet de plaintes auprès des deux organismes.

L’architecte doit tenir compte de la possibilité de conflit d’intérêts entre son rôle d’arbitre intérimaire officiel et son rôle d’architecte lorsqu’il décide à quel mode d’arbitrage adhérer. Il doit aussi tenir compte des relations passées et présentes avec les parties à l’arbitrage pour éviter l’apparence de conflit d’intérêts ou de partialité. Cela est plus préoccupant lorsque l’arbitre intérimaire est nommé par l’ANA que lorsqu’il est choisi conjointement par les parties à l’arbitrage, à condition que les relations soient connues des deux parties.


Références

Loi sur la construction, L.R.O. 1990, chap. C.30, 8 juillet 20202019, https://www.ontario.ca/fr/lois/loi/90c30#BK28, consulté le 2 octobre 2020.

Règl. de l’Ont. 306/18 : Arbitrages intérimaires visés à la partie II.1 de la Loi, 1er octobre 2019, https://www.ontario.ca/fr/lois/reglement/180306, consulté le 2 octobre 2020.