Wanda Noel, avocate
Révisé en octobre 2019 : Ariel Thomas, avocat
L’enjeu
Les personnes qui produisent du matériel numérique ont souvent l’impression de vivre dans une jungle où tout est permis. La liberté dont jouit le public sur le réseau Internet signifie-t-elle qu’on peut utiliser les créations des autres sans leur autorisation ou sans leur payer de droit d’auteur? Grâce au clavier de son ordinateur, n’importe qui peut copier et transmettre une information électronique rapidement et facilement. Le défi qui se pose aux architectes est le suivant : comment s’assurer de recevoir une rémunération pour l’utilisation de son travail dans un contexte où l’informatique rend si faciles et si rapides la reproduction et la transmission de documents?
Le droit de contrôler la reproduction de documents
Au Canada, le droit d’auteur est décrit dans la Loi sur le droit d’auteur. De juridiction fédérale, cette loi s’applique à l’ensemble du pays. D’une façon générale, elle rend illicites, à moins d’obtenir l’autorisation de l’auteur, la reproduction, la publication, la modification ou la transmission du matériel protégé par le droit d’auteur. Elle s’applique au domaine de l’écrit, et aussi au monde numérique. Dans ce dernier cas, cependant, son application n’est pas toujours facile.
Pourquoi le droit d’auteur d’une firme d’architecture est-il important dans un environnement numérique?
Les architectes doivent se préoccuper du fait qu’on puisse utiliser leur travail sans autorisation ou sans leur payer les honoraires requis. Ils doivent aussi prendre soin de ne pas utiliser injustement le travail des autres. Il s’agit là d’une « violation du droit d’auteur ». La technologie numérique fait en sorte qu’il est très facile de contrevenir au droit d’auteur. De nos jours, rien n’est plus simple que de photocopier des dessins et des documents écrits, ou d’enregistrer de la musique ou des émissions de télévision. En fait, les violations du droit d’auteur ont toujours existé. Avec la technologique numérique cependant, elles risquent de se généraliser. Des plans numérisés dans un fichier informatique peuvent, en quelques minutes, être copiés et transmis par courrier électronique des dizaines, voire des centaines de fois. La technologie numérique permet de copier sans autorisation préalable, de manière rapide et facile, le matériel protégé par le droit d’auteur. Voilà pourquoi il est très important pour les architectes de savoir comment, dans un contexte informatique, la Loi sur le droit d’auteur les protège.
Les œuvres architecturales sont protégées par le droit d’auteur
La Loi sur le droit d’auteur protège les œuvres architecturales en tant qu’« œuvres artistiques ». Celles-ci comprennent les dessins, les diagrammes, les plans, les photos, les œuvres d’artisans (comme les maquettes) et les œuvres architecturales. Une « œuvre architecturale » désigne « tout bâtiment ou édifice ou tout modèle ou maquette de bâtiment ou d’édifice ». Le bâtiment bénéficie donc de la protection du droit d’auteur, de même que tous les dessins, esquisses, modèles et maquettes exécutés dans le cadre du projet.
Les architectes détiennent le droit d’auteur sur leurs œuvres
L’architecte est un « auteur » selon les termes de la Loi sur le droit d’auteur. En principe, le créateur d’une œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur qui s’y applique. Les architectes, en tant que créateurs de plans, de dessins, de devis, d’addendas, etc. sont les titulaires du droit d’auteur sur ces œuvres artistiques. Cependant, des règles particulières peuvent s’appliquer à la propriété de ce droit. Ainsi, lorsque l’auteur est employé par une autre personne et que l’œuvre est exécutée dans l’exercice de cet emploi, c’est l’« employeur » qui est le premier titulaire du droit d’auteur. Les règles concernant la propriété peuvent toutefois être modifiées par consentement mutuel. L’architecte peut, par exemple, céder son droit d’auteur au client. La Loi sur le droit d’auteur exige par contre que la cession soit faite par écrit. Par défaut, cependant, l’architecte ou la firme d’architecture détient le droit d’auteur sur l’œuvre, et les honoraires du client, lorsqu’ils sont payés, lui donnent l’autorisation d’utiliser l’œuvre.
Une affaire récente a confirmé que, par défaut, si le client ne paie pas l’architecte dans sa totalité, l’architecte peut révoquer l’autorisation d’utilisation de l’œuvre par le client.
Note : Lorsqu’un architecte engage un entrepreneur indépendant (parfois désigné à tort comme un « employé contractuel », il aurait avantage, afin d’éviter d’éventuels différends, à conclure avec lui une entente concernant la propriété du droit d’auteur.
La possession d’une copie ne comprend pas la propriété du droit d’auteur
La propriété d’un objet (ou d’un fichier numérique) ne comprend pas la propriété du droit d’auteur. La possession d’un ensemble de plans, par exemple, ne confère pas à un client un droit d’auteur sur ceux-ci. Le fait, pour le client, de posséder les plans ne signifie pas qu’il peut les copier, les utiliser sur un site Web ou s’en servir pour la construction d’un autre bâtiment. Les restrictions imposées par la loi sur le droit d’auteur s’appliquent toujours, quel que soit le propriétaire d’une copie des plans. Toute utilisation de plans qui sont soumis à des restrictions de droit d’auteur nécessite l’autorisation de l’auteur ou du titulaire du droit d’auteur. Le client a le droit d’utiliser les « instruments de service » (habituellement les dessins et le devis, mais aussi les rapports de faisabilité, les évaluations de l’état du bâtiment et divers autres livrables), mais uniquement à la condition d’avoir payé pour les services représentés par ces instruments et de les utiliser uniquement dans le but pour lequel ils ont été conçus. Les buts prévus doivent être décrits clairement dans le contrat client-architecte. L’architecte aurait intérêt à s’entendre clairement et par écrit avec son client sur l’utilisation qui pourrait être faite du matériel protégé par le droit d’auteur.
Durée du droit d’auteur.
La possession d’un bien matériel comme une voiture ou un terrain subsiste jusqu’à ce qu’il soit vendu, consommé ou cédé. Le droit d’auteur, toutefois, est différent, car il prend fin à l’expiration de la durée indiquée dans la Loi sur le droit d’auteur. D’une manière générale, le droit d’auteur subsiste pendant la vie de l’auteur, puis jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant celle de son décès. Lorsque l’œuvre architecturale a été créée en collaboration, le droit d’auteur subsiste pendant la vie du dernier des coauteurs, puis jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant celle de son décès. Lorsque le droit d’auteur prend fin, l’œuvre tombe dans le domaine public. On n’a plus alors aucun besoin d’obtenir une autorisation ou de verser des droits d’auteur pour son utilisation, même électronique.
Droits d’un titulaire du droit d’auteur
La Loi sur le droit d’auteur confère plusieurs droits à son titulaire, notamment le droit de décider quand, où, par qui et à quel prix ses créations peuvent être utilisées. Il existe deux sortes de droits : les droits moraux et les droits économiques.
Droit de reproduction
Un des droits économiques les plus importants que confère la Loi sur le droit d’auteur à un architecte est le droit exclusif de reproduire une œuvre ou une partie importante de celle-ci sous une forme matérielle quelconque. Le téléchargement est un exemple de la façon dont ce droit s’applique en informatique. En termes de droit d’auteur, le téléchargement constitue la reproduction d’un document. Les copies téléchargées sont des reproductions au sens de la Loi sur le droit d’auteur et requièrent l’autorisation du titulaire du droit d’auteur. À titre d’auteur, l’architecte a seul le droit de copier les dessins, devis et addendas reliés à un projet. Il est également le seul à pouvoir autoriser une autre personne à le faire. Les copies peuvent être réalisées sur support papier ou numériques ou consister en des modèles en trois dimensions. Bien que l’importance du droit d’auteur ne soit pas nouvelle, la facilité avec laquelle on peut maintenant copier des documents informatiques pose un sérieux problème aux architectes.
Droit de publication
La Loi sur le droit d’auteur confère le droit exclusif de publier une œuvre pour la première fois. La décision de publier des plans et le choix de la date de publication appartiennent au titulaire du droit d’auteur.
Droit d’adaptation
La Loi sur le droit d’auteur confère aussi le droit d’adapter une œuvre à une autre forme. L’adaptation d’un roman pour en faire un film est un exemple de ce droit. Les architectes, tout comme les romanciers, ont le droit de contrôler l’adaptation de leurs œuvres. Ils ont le droit de contrôler l’adaptation de leurs plans ou de leurs dessins pour qu’ils puissent servir à de nouvelles fins.
Droit de distribution électronique
Les architectes ont également le droit de contrôler la communication au public, par télécommunication, de leur œuvre. Cela comprend l’affichage en ligne d’œuvres sur des sites Web accessibles au public ainsi que l’offre d’œuvres en ligne au public pour téléchargement. Seul le titulaire du droit d’auteur a le droit de le faire ou d’autoriser une autre personne à le faire. Si un client ou un entrepreneur, par exemple, veut transmettre une œuvre architecturale en ligne, il doit obtenir l’autorisation du titulaire du droit d’auteur. De la même manière, on ne peut pas utiliser les salles de plans virtuelles sans obtenir, au préalable, l’autorisation du titulaire du droit d’auteur sur les documents électroniques en cause. Lorsque l’autorisation n’a pas été accordée, il y a violation du droit d’auteur. Les architectes possèdent un droit d’auteur sur leurs œuvres et la loi leur accorde le droit d’en contrôler l’utilisation électronique.
Qu’est-ce qu’une violation du droit d’auteur
En termes juridiques, une « violation du droit d’auteur » signifie le non-respect de la Loi sur le droit d’auteur. Il y a atteinte à ce droit lorsqu’une personne exécute, sans autorisation, un acte que seul le titulaire du droit d’auteur a le droit d’exécuter ou d’autoriser. Par exemple, seul le titulaire du droit d’auteur peut faire une copie. Lorsqu’une autre personne le fait, elle porte atteinte au droit d’auteur, car elle exécute un acte que seul le titulaire du droit d’auteur a le droit d’exécuter. La transgression d’une loi porte à conséquence. Traverser la rue en dehors des intersections, par exemple, donne lieu à une contravention; commettre un homicide entraîne l’emprisonnement. Il en va de même pour la violation du droit d’auteur. Celle-ci a pour conséquence la plus commune une ordonnance de la Cour imposant à l’accusé de payer des dommages-intérêts pour l’utilisation non autorisée d’une œuvre protégée par le droit d’auteur. Dans de nombreux cas, des dommages-intérêts ont été versés à des architectes pour compenser les pertes financières subies du fait de l’utilisation non autorisée de leur œuvre. La violation du droit d’auteur peut aussi donner lieu à une injonction (un ordre de la Cour de cesser la violation).
Avis de droit d’auteur
Au Canada, le droit d’auteur existe même sans enregistrement. D’après la Loi sur le droit d’auteur, il n’est pas nécessaire de s’inscrire au registre des droits d’auteur pour bénéficier de cette protection. Il existe toutefois un système d’inscription volontaire, administré par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (Industrie Canada). Le certificat d’enregistrement du droit d’auteur crée une présomption selon laquelle la personne y ayant procédé est titulaire du droit d’auteur. L’enregistrement d’un droit d’auteur contribue certainement au respect du droit d’auteur par des tiers. Au Canada, il n’est pas nécessaire d’indiquer expressément qu’une œuvre est protégée par la Loi sur le droit d’auteur. Il n’en va toutefois pas ainsi dans tous les pays. Selon la Convention universelle sur le droit d’auteur, il est suggéré d’inscrire le signe ©, suivi du nom du titulaire du droit d’auteur et de l’année de la première publication, comme : « © XYZ, architecte, 2001 ». Bien que cette façon de faire ne soit pas obligatoire au Canada, elle rappelle au public que le droit d’auteur protège l’œuvre et elle mentionne le nom du titulaire de ce droit.
Serrures numériques et information sur la gestion des droits
La loi canadienne sur le droit d’auteur a récemment été mise à jour pour assurer la protection des serrures numériques, comme la protection par mot de passe ou la technologie anticopie, et pour fournir de l’information sur la gestion des droits, comme les filigranes ou les métadonnées. Si l’accès à une œuvre est protégé par une serrure numérique, toute personne qui contourne ou enlève la serrure est responsable comme si elle avait enfreint le droit d’auteur. De même, une personne qui supprime l’information sur la gestion des droits afin de faciliter la violation du droit d’auteur est responsable comme si elle avait violé le droit d’auteur. Il existe quelques exceptions limitées à ces règles. Par exemple, une serrure numérique peut être retirée à des fins de respect de la loi. Il est important de rappeler que, puisqu’un logiciel (tel que AutoCAD) est protégé par le droit d’auteur, il est interdit de contourner ou de supprimer les serrures numériques qui contrôlent l’accès à ce logiciel.
Droits des utilisateurs
La loi canadienne sur le droit d’auteur offre également aux utilisateurs d’œuvres protégées par le droit d’auteur leur propre ensemble de droits. Ces droits, tels que « l’utilisation équitable », permettent aux personnes, dans certaines circonstances, d’utiliser des œuvres d’une manière qui, autrement, enfreindrait le droit d’auteur. Par exemple, un utilisateur peut être autorisé à faire une copie d’un plan d’architecture pour une recherche non commerciale sans demander l’autorisation de l’architecte. La question de savoir si ces droits sont disponibles dépend généralement des circonstances particulières en cause, mais en général, les droits permettent des utilisations qui servent un objectif publiquement souhaitable et qui n’interfèrent pas avec le marché des œuvres.
Marques de commerce et brevets
Il existe cinq sortes de propriétés intellectuelles : le droit d’auteur, les brevets, les marques de commerce, les designs industriels et les topographies de circuit intégré. La marque de commerce est un mot, un symbole, un design ou une combinaison de ces éléments, qu’une entreprise commerciale utilise pour distinguer ses produits et services de ceux de ses compétiteurs. La marque de commerce appartient à l’entreprise; elle représente non seulement les biens et services qu’elle offre, mais aussi sa réputation. Les architectes possèdent souvent des droits relatifs aux marques de commerce, comme bon nombre de gens d’affaires qui utilisent les marques de commerce pour identifier leurs biens et services. De son côté, le brevet accorde à un inventeur le droit d’interdire la contrefaçon, la vente ou l’utilisation de son invention pendant une période de 20 ans. En contrepartie, il fournit une description détaillée de l’invention, de telle sorte que tous les Canadiens peuvent tirer profit du progrès qu’elle représente. Généralement, la protection accordée par les brevets ne touche pas la pratique de l’architecture.
Quelques suggestions pratiques1
L’application de la Loi sur le droit d’auteur à un environnement électronique comporte de nombreux aspects, dont les principaux sont le contrôle des fichiers et du matériel transmis par le courrier électronique, les unités amovibles et le téléchargement de sites Internet. Ces moyens de transmission de fichiers sont soumis à des contrôles pratiquement inexistants, à la base comme dans la distribution elle-même.
S’il est important d’explorer et de mettre en œuvre un certain type de stratégie en matière de droits d’auteur, il est tout aussi important de noter que le facteur qui contribue le plus à la violation des droits d’auteur est l’attitude du public en général. Bien qu’elle évolue lentement, l’attitude du public à l’égard du monde numérique, et en particulier de l’Internet, est qu’il s’agit essentiellement d’un domaine « gratuit ». Toute personne ou tout groupe qui tente d’instaurer un système de paiement à l’utilisation sur l’Internet se heurte à une grande résistance.
Dans un tel contexte, la mise en application de la loi incombe au titulaire du droit d’auteur. Certes, la loi existe, mais, à moins que la violation ne soit très évidente ou ne comporte des conséquences économiques graves, elle ne sera pas appliquée. Sa violation est rarement flagrante et il est rare qu’elle entraîne des préjudices économiques de millions de dollars. C’est les litiges coûteux sont généralement une option indésirable. D’un point de vue pratique, il existe de nombreux moyens technologiques pour lutter contre la violation du droit d’auteur :
- Les différentes informations d’un dessin numérique peuvent être regroupées sur une seule couche, ce qui réduit l’utilisation du fichier.
- Un logiciel comme Adobe Acrobat peut créer un fichier graphique qu’on peut visionner et imprimer, mais qu’on ne peut pas éditer en CAO.
- Les fichiers ou le matériel qu’il est possible de télécharger à partir d’un site WEB ou FTP, ou de tout autre site accessible au public, devraient être protégés par un mot de passe.
- Une note devrait être insérée dans tout courriel, dans tout support amovible ou dans le fichier lui-même pour avertir l’utilisateur que le contenu du fichier est protégé par le droit d’auteur et que toute copie est interdite à moins qu’il n’en ait obtenu l’autorisation.
Cette liste est loin d’être exhaustive, mais les moyens qu’elle suggère sont faciles à mettre en œuvre. Il est évident qu’aucun de ces moyens ne peut empêcher la violation du droit d’auteur. Toutefois, le fait pour les architectes d’être conscients du problème que pose le respect de leur droit d’auteur contribuera fortement à la protection de leurs œuvres.
Les documents suivants sont joints ci-après :
Licence d’utilisation du droit d’auteur : l’architecte qui autorise une utilisation restreinte de ses documents peut utiliser ce formulaire. Il doit veiller à demander une juste rémunération pour cette autorisation.
Avis de droit d’auteur : modèle applicable à tout document électronique
Renonciation : modèle applicable à tout document électronique.
Ces documents visent à aider l’architecte à gérer ses documents électroniques et à protéger son droit d’auteur.
1Adaptation libre autorisée d’un article de Chris Gowling, Kasian Kennedy Architecture Interior Design and Planning.
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