Chapitre 3.2
Planification de la succession


Définition

Survaleur : L’élément incorporel de la valeur d’une entreprise (y compris la valeur du legs, de l’image et de la clientèle de l’architecte) calculé comme le montant par lequel la valeur de la vente ou de l’investissement dépasse la somme des actifs nets identifiables. On la définit parfois comme la valeur actuelle des bénéfices futurs attendus qui dépassent le rendement requis pour la vente ou l’investissement, ou comme un multiple de la performance des bénéfices en moyenne sur une période antérieure de cinq ans ou plus.


Introduction

La planification de la succession est une stratégie qui transfère le capital – qu’il soit intellectuel, financier ou créatif – à la prochaine génération de dirigeants et de parties prenantes lorsqu’une firme doit inévitablement se restructurer en raison de la retraite d’employés clés, de leur départ pour quelque raison ou de leur décès. Voir également l’Annexe A du présent chapitre, Les défis de la succession en cas de fermeture soudaine et imprévue d’une firme.

La planification de la succession dans le contexte d’une firme d’architecture est très importante, mais elle a un sens différent selon les différents types de pratique. Dans le passé, la planification de la succession était surtout l’affaire des firmes individuelles et des sociétés de personnes. Les plans de succession visaient alors à gérer le transfert de propriété de la firme d’une personne ou d’un groupe de personnes à d’autres personnes ou groupes.

Dans les plus grandes firmes, la planification de la succession est toujours très importante. Elle ne vise pas nécessairement à transférer la propriété, mais plutôt à former la relève chez les dirigeants de tous les services de la firme afin de renforcer les compétences des futurs propriétaires.

Dans les deux cas, l’objectif fondamental d’un plan de succession est d’assurer le succès continu de la firme en identifiant les futurs dirigeants, en les encadrant et en les aidant à réussir la transition vers leurs nouveaux rôles.

Les propriétaires de firmes d’architecture négligent ou évitent souvent de penser à ce qu’il adviendra de leur bureau quand ils auront pris leur retraite ou auront abandonné la pratique pour quelque autre raison. La planification de cette transition, communément appelée planification de la succession, est très importante. Une planification efficace de la succession permet :

  • aux propriétaires de prolonger l’existence de leur firme au-delà de leur propre carrière;
  • aux jeunes praticiens et propriétaires d’acquérir les compétences nécessaires pour prendre la relève (voir le chapitre 1.4 – Mentorat et transitions de carrière);
  • aux propriétaires d’obtenir un rendement financier de leur investissement en argent, en énergie et en engagement;
  • de tenir compte du risque lié au départ soudain d’une personne clé.

Les personnes à haut potentiel sont identifiées et ensuite encadrées afin de les préparer à un rôle spécifique dans l’entreprise. Souvent, ce mentorat est assuré par la personne qui occupe actuellement le poste et qui passe à autre chose. Voir le chapitre 1.4 – Mentorat et transitions de carrière.

FIGURE 1 Calendrier de la transition de propriété

Selon l’expert en gestion Peter Drucker, « la meilleure façon de prédire l’avenir est de le créer ». Pour bien planifier la succession de la firme, il faut y réfléchir longuement et mettre en place une stratégie qui peut s’étaler sur dix ans. Un bon point de départ consiste à établir ses objectifs de retraite et à travailler à rebours jusqu’au présent. Cette notion semble élémentaire, mais sa réalisation est loin d’être simple.

Un plan de succession exhaustif :

  • établit une stratégie de transition;
  • cerne le profil d’un ou de plusieurs acheteurs capables de faire l’acquisition de la firme d’architecture;
  • met le financement au point;
  • détermine la valeur de la firme;
  • traite des questions fiscales et juridiques et des questions d’assurance responsabilité professionnelle.

Il ne faut jamais perdre de vue le test de réussite de la planification de la succession : les clients, les employés et le legs de l’architecte qui quitte la firme peuvent-ils être confiés à d’autres sans que la qualité des services et la réputation de la firme en pâtissent? Il y a des gens à qui l’architecte fondateur manquera personnellement, mais ils continueront de recevoir de bons services si ses successeurs maintiennent les normes professionnelles de la firme.

Art Gensler qualifie de « transition en douceur », une transition qui consiste à informer personnellement les clients des changements dus à la succession et qui n’est pas publicisée dans les médias, pour diminuer la pression sur toutes les parties concernées. Il écrit :

« En effectuant la transition en douceur, vous adoptez une approche plus personnalisée pour sensibiliser vos clients aux changements et leur donner un aperçu de certains des changements positifs à venir. En fin de compte, vous donnez à la nouvelle direction la possibilité de devenir le conseiller de confiance que vos clients et vos employés attendent de votre entreprise. » [Traduction] (Gensler, p. 86)


Options de planification de la succession

Le présent chapitre décrit cinq options de planification de la succession. Chaque firme a ses caractéristiques propres, de sorte que les chances de succès, le prix de vente ou l’évaluation ferme et les horizons de planification différeront. Les résultats réels varieront selon la taille de la firme et de l’efficacité de la stratégie et de sa mise en œuvre.


Dissolution de la firme

Bien des petites firmes n’ayant qu’un seul architecte ou un seul actionnaire se dissolvent à la retraite de celui-ci. Même si cela peut ressembler à un échec de la planification de la succession, ce choix s’impose dans certaines situations, par exemple :

  • le décès;
  • la maladie;
  • l’incapacité;
  • le divorce;
  • un différend entre actionnaires ou associés;
  • un choix personnel;
  • une faillite.

L’architecte qui décide de prendre sa retraite et de dissoudre sa firme doit :

  • se conformer à tous les règlements de son ordre professionnel concernant la cessation d’exercice;
  • se procurer une police d’assurance responsabilité professionnelle qui couvre ses années de retraite.

La planification des éventualités, selon cette option, doit prévoir la conservation des plans et autres documents de la firme et éviter leur perte ou leur destruction. Ces documents peuvent être transférés :

  • à un autre architecte;
  • à un service d’archives d’une université ou aux archives provinciales ou nationales;
  • à un autre organisme acceptable;
  • dans un entrepôt.

Certains ordres d’architectes provinciaux et territoriaux ont adopté des règlements sur la conservation des archives d’un architecte. Quoi qu’il en soit, il faut les conserver en raison des différents délais de prescription de la responsabilité de l’architecte; les archives permettent à l’architecte et à son assureur de monter une défense solide. (Voir le chapitre 3.8 – Gestion des risques et responsabilité professionnelle.)


Vente de la firme

La firme pourrait être vendue à un ou plusieurs architectes qui n’en font pas partie (comme des investisseurs privés). Les « successeurs » retiennent souvent les services des « fondateurs » à titre de conseillers ou de consultants pendant un certain temps, de manière à assurer une transition en douceur pour la firme et les projets en cours.

Avantages :

  • peut assurer la pérennité de la firme;
  • peut apporter un certain rendement financier à l’architecte fondateur.

Inconvénients :

  • le vendeur n’aura probablement pas beaucoup d’influence sur le style ou la philosophie future de l’entreprise;
  • les acheteurs qui ne font pas partie de la firme paieront généralement moins cher que les successeurs qui en font partie, en raison d’une appréciation moindre de la survaleur de la firme.

Fusion avec une autre firme

La fusion de la firme avec un autre architecte ou une autre firme peut être une très bonne option si l’architecte fondateur prévoit de prendre sa retraite et qu’aucun employé n’est disponible ou en mesure d’assurer la relève. Cette option est semblable à la vente en ce sens que des personnes auparavant extérieures à la firme exerceront dorénavant une influence sur sa gestion. Par contre, l’architecte qui prend sa retraite peut conserver une plus grande influence sur l’avenir de la nouvelle entité et c’est là une différence importante.

Toutefois, diverses raisons peuvent entraîner l’échec de la fusion, notamment :

  • l’incompatibilité de la culture d’entreprise ou du style de pratique (voir le chapitre 3.1 – Démarrage et structure d’une firme d’architecture);
  • l’incompatibilité des plateformes logicielles, des systèmes de technologie de la firme et des structures internes des firmes;
  • le détournement des ressources au détriment de la firme d’architecture pour avoir consacré tous les efforts à la fusion;
  • des recherches inadéquates ou la dissimulation de dettes de l’un des associés;
  • le dédoublement des tâches par les employés, ce qui entraîne des inefficacités ou, à l’inverse,
  • des réductions d’activités ou de personnel, ce qui entraîne la perte de l’expertise et de la culture des employés.

La principale raison de l’échec d’une fusion, c’est que les deux firmes ne vont pas bien ensemble. C’est pourquoi l’architecte peut souhaiter tester l’adéquation avant de finaliser une fusion formelle en créant d’abord une coentreprise ou une alliance stratégique. Idéalement, la nouvelle entreprise sera plus grande que la somme des parties, et pourra accroître sa position concurrentielle et ses perspectives de marché.


Transfert de propriété

On peut modifier la répartition de la propriété de l’entreprise entre les différents associés ou actionnaires. Le choix de cette option n’est toutefois possible que si les autres associés ou actionnaires sont disposés à acheter la part de celui qui quitte l’entreprise. En pareil cas :

  • si la demande est forte, le vendeur peut habituellement obtenir un meilleur prix pour sa part qu’avec une vente ou une fusion de la firme, car un acheteur de l’intérieur y accordera plus de valeur qu’un acheteur extérieur;
  • si tout va bien, la viabilité de la firme est élevée, spécialement si les associés en cause sont des leaders doués.

Nouveaux associés ou actionnaires

Les associés qui sont proches de la retraite ou qui veulent permettre à des jeunes de développer leur talent, peuvent choisir d’inviter de nouveaux architectes ou d’autres personnes à se joindre à la firme à titre d’associés ou d’actionnaires. Bien exécutée, cette option a de bonnes chances de succès. Le prix de vente peut aussi être élevé, surtout si les nouveaux actionnaires ont les liquidités nécessaires pour financer le transfert de propriété. Il faut généralement prévoir un horizon de planification plus long pour renforcer les compétences des talents internes et pour donner à l’acheteur plus de temps pour effectuer le paiement du transfert des actions.

TABLE 1 Options de planification de la succession


Planification stratégique des ressources humaines

C’est lorsque la direction des activités peut être transmise graduellement à des membres de la firme que la planification de la succession a les plus grandes chances de réussite. Ce processus peut exiger jusqu’à dix ans de préparation des personnes en cause. Il comprend les quatre phases suivantes.

FIGURE 2 Calendrier de la gestion stratégique


Phase 1 : Planification stratégique

La planification stratégique des ressources humaines suppose les mesures suivantes :

  • connaître la culture de la firme; le leadership commence par une compréhension des valeurs de la firme;
  • élaborer des stratégies et des objectifs d’affaires; il est essentiel que la firme intègre efficacement les volets suivants de ses activités :
    • marketing;
    • production;
    • technologie de l’information;
    • finance;
    • ressources humaines;.
  • réaliser que le plan stratégique offrira un cadre pour un développement plus détaillé des ressources humaines.

Phase 2 : Développement du bassin de talents

Dans le cadre du développement de la firme, mettre l’accent sur ses membres, car le bassin de talents est un atout essentiel pour la firme. Plus précisément, tenir compte des points suivants :

  • cerner et communiquer les mesures que les futurs dirigeants devront prendre pour entretenir chez le personnel la motivation et le goût du succès;
  • évaluer le personnel existant et engager de nouveaux talents dans les domaines où l’entreprise est déficiente;
  • donner des occasions de s’initier à des fonctions de direction et d’accroître sa polyvalence;
  • établir un système efficace d’évaluation des performances permettant de surveiller et de favoriser le développement continu, grâce :
    • à l’accompagnement;
    • à la supervision;
    • aux commentaires sur les réussites comme sur les faiblesses;
  • se rappeler que la propriété n’est pas une fin en soi, mais un moyen de motiver la personne appelée à fournir une contribution majeure à la firme;
  • mettre en place un programme de formation continue permettant l’acquisition de nouvelles connaissances professionnelles.

Bien des propriétaires de firmes d’architecture sont préoccupés par le fait que, parmi les bénéficiaires d’un programme de formation, seulement un certain nombre demeureront avec la firme, alors que les autres la quitteront et pourront devenir des concurrents bien informés. Il peut certainement paraître contreproductif de former des concurrents potentiels, mais il faut se souvenir que « la seule chose qui soit pire que de former des employés et de les perdre, c’est de ne pas les former et de les garder » (Zig Ziglar, conférencier spécialisé en motivation et consultant en affaires).


Phase 3 : Sélection et transition

La réussite de la planification stratégique des ressources humaines suppose également les étapes suivantes :

  • sélectionner un ou plusieurs successeurs et observer leur progression et leur performance;
  • leur fournir une période de transition vers la gestion et la propriété, ce qui comprend :
    • une formation en gestion;
    • le développement du leadership;
    • l’orientation avant d’accéder à la propriété;
    • le développement professionnel pour atteindre la stature d’un associé principal;
    • la présentation des successeurs aux clients et autres contacts d’affaires.    

Phase 4 : Renouvellement continu

La réussite de la planification suppose enfin :

  • de réitérer sans cesse le même processus;
  • de surveiller les occasions d’utiliser l’expérience et les plans de succession des autres propriétaires (s’il y a lieu) pour faciliter une transmission graduelle de la propriété, compte tenu des départs successifs à la retraite.

Il est sain de continuer à s’impliquer professionnellement après le transfert de propriété ou le départ à la retraite par des activités telles que le mentorat, le service communautaire et le travail en comité.


Questions à considérer

Les architectes doivent tenir compte d’une série de questions particulières pendant le processus de planification de la succession.


Planification des éventualités

Cette planification est importante, car :

  • elle permet une succession plus rapide en cas de circonstances imprévues telles que la maladie, l’invalidité, le décès soudain, le divorce ou les conflits entre actionnaires ou associés;
  • elle réduit les risques d’échec en assouplissant le plan de succession et en constituant une réserve de talents.

Examen des conventions entre associés ou actionnaires

À l’examen des conventions, les acheteurs et les vendeurs doivent :

  • demander des conseils comptables et juridiques professionnels pour la rédaction ou la modification de conventions;
  • s’assurer que les conventions comportent une clause de résiliation qui traite de l’incompatibilité culturelle ou des mauvaises performances;
  • procéder à un examen détaillé et régulier des conventions avec les nouveaux propriétaires ou les propriétaires potentiels afin de s’assurer qu’elles sont toujours appropriées et pertinentes.

Responsabilité relative aux travaux antérieurs

En général, la responsabilité pour les travaux antérieurs demeure celle de la firme, bien que certains assureurs ou certaines juridictions provinciales puissent tenir l’associé ou l’actionnaire principal original responsable. Il est donc important :

  • de vérifier s’il y a lieu de maintenir une assurance responsabilité professionnelle individuelle à long terme;
  • d’obtenir des opinions juridiques qui serviront de guides dans les contextes exacts où on se trouve ou dans les provinces ou territoires où on exerce.

Paiement

Se rappeler :

  • que les acheteurs internes éventuels peuvent avoir des dettes importantes;
  • que les acheteurs peuvent avoir de la difficulté à effectuer leurs paiements pendant la période de succession;
  • qu’il est très avantageux pour la firme d’être très rentable pendant cette période, surtout si les acheteurs prévoient de financer l’achat à partir des revenus de la firme par une augmentation des salaires ou des primes;
  • que l’achat doit être réalisable et attrayant pour les nouveaux associés;
  • qu’un « fonds de remboursement » peut aider les propriétaires de deuxième génération à acheter la firme et à payer les « fondateurs » de la première génération.

Évaluation de la firme

L’évaluation de la firme peut être réalisée selon l’une des techniques suivantes :

  • la capitalisation des bénéfices;
  • les flux de trésorerie nets actualisés;
  • les actifs excédentaires;
  • la survaleur;
  • une procédure de valeur comptable modifiée qui reconnaît la valeur économique de l’entreprise (la valeur de réalisation nette, ou VRN) par opposition à une évaluation historique basée sur des principes comptables généralement reconnus.

Dans la plupart des cas, les registres comptables de la firme constituent un point de départ objectif pour entamer le processus de détermination de la VNR. Les vendeurs et les acheteurs doivent demander l’avis d’un professionnel indépendant lorsqu’ils estiment la valeur de la firme.


Survaleur

La survaleur est un bien subjectif. On doit toujours se rappeler que :

  • les actifs incorporels sont difficiles à évaluer;
  • la survaleur est souvent surestimée par le vendeur (pour des raisons émotives) et sous-estimée par les acheteurs (qui jugent selon leurs intérêts);
  • l’écart entre acheteurs et vendeurs est encore plus prononcé lorsque l’acheteur provient de l’extérieur de la firme;
  • l’évaluation de facteurs incorporels, selon Ross Skinner, devrait se limiter aux éléments d’actif dont l’utilité peut être transmise à d’autres parties, indépendantes de l’entreprise et susceptibles d’espérer une certaine valeur en échange. Et même dans ces cas, on doit disposer de preuves concrètes pour justifier la base de l’évaluation.

Références

GENSLER, Arthur et Michael Lindenmayer. Art’s Principles: 50 years of hard-learned lessons in building a world-class professional services firm, Wilson Lafferty, 2015.

MILBURN, J. Alex et Ross Skinner. Accounting Standards in Evolution, 2nd Edition. Toronto, Holt, Reinhart and Winston Canada, 2000.



Annexes